Artiste associée
Ariane Michel
Fendre les Flots
de septembre 2015 à août 2016
Chaque année, La Criée associe un(e) artiste à ses projets. Cette collaboration, en mettant l’art encore plus au centre, instaure une nouvelle façon de travailler dans la durée avec les artistes, au plus près du processus créatif.
Ariane Michel, artiste et cinéaste, s’intéresse aux points de rencontres du monde sauvage et de la civilisation des Hommes. Ces moments, qu’elle nous fait partager en remettant en jeu nos trajectoires perceptives habituelles, ont souvent lieu à des bouts du monde, que ceux-ci si soient proches ou lointains, «naturels» ou «culturels».
Proche de la pensée de l’anthropologue Philippe Descola et de celle de l’écrivain Jean-Christophe Bailly, pour elle la frontière entre Nature et Culture ne va pas de soi ; l’Homme est un Animal comme les autres et la civilisation humaine un règne parmi d’autres.
Ariane Michel est à l’affût.
À la manière d’une éthologue presque, elle observe et confronte dans un même regard le Monde naturel et les Hommes pour en capturer les mouvements, les agissements, les usages.
Mue par une pensée tout à la fois animiste et chamanique, elle propose à travers ses œuvres de vivre une expérience qui s’ancre dans l’intensité absolue de l’instant présent autant que dans un temps immémorial. Dans cette expérience, nos sens, en éveil, priment sur notre raison. Ses œuvres se déroulent ainsi dans une écriture proche des récits primordiaux et décentrent notre regard.
Pour Fendre les Flots, elle organise une exposition – tournage sur le rivage d’Esquibien, au cap Sizun (été 2015) – dont le film constitue la pièce centrale de son exposition personnelle dans les murs de La Criée (printemps 2016). Elle imagine également un cycle de projections et d’invitations, et plus largement, nourrit la programmation de ses intérêts, idées et recherches.
« Il y a onze ans je suis partie en bateau. Sur le Tara, une goélette polaire, avec une expédition scientifique qui explorait le Groenland. Traversant la mer pour me retrouver dans ce pays qui a l’air d’une planète Terre dont on aurait retiré la peau (la civilisation), j’ai compris que ma tâche serait toujours, pour fabriquer mon œuvre, de m’extraire de mon humanité en entrant en contact avec les choses. Devenir un peu pierre, eau, herbe, ours ou moustique pour mieux saisir l’instant et partager avec mes contemporains l’intensité d’être vivant. «Fendre les flots» au sens propre m’avait alors permis de saisir en quoi il me faudrait par la suite le faire toujours au figuré.
Lorsque Sophie Kaplan m’a invitée à m’associer à sa programmation sous cette thématique, j’ai d’abord voulu penser seulement à ce sens, figuré :
À «fendre les flots» comme métaphore ou presque.
Aux artistes, aux humains qui plongent dans les choses, font en sorte qu’un frottement advienne entre leur pensée et un milieu qu’ils (n’)habitent (pas).
Au geste de se mettre à l’épreuve du monde et à la pensée qui s’évade d’un carcan.
Un sens figuré pour mieux figurer, ne pas se perdre dans le décorum.
Mais c’était sans compter la puissance de la vague, des flots comme contexte. Dans le recueil de Queneau, mais aussi dans le ressac furieux des tempêtes d’hiver, ils revenaient : je venais de m’installer en Finistère, près de la Pointe du Raz, à 800 mètres de la mer, et de ma fenêtre je les entendais gronder.
Il ne fallait donc pas se départir de la mer, d’autant que nous sommes dans une criée, et à Rennes, au cœur de la Bretagne. Cette année serait donc la conjonction d’un mouvement au figuré et de plusieurs mouvements d’étraves, de mains, d’objets et autres présences dans l’eau salée.
Mais les flots ne seraient pas seulement un décor, ils seraient agissants.
C’est ainsi que tout a commencé par une exposition sur le rivage, les artistes étant invités à exposer à l’épreuve des marées. Que cela se poursuivra par un film et une installation dans mon exposition personnelle. Que, tout au long de la saison et de plusieurs façons, je proposerai d’envisager des démarches qui, Romantiques presque, engagent l’expérience du monde, questionnent le passage à l’acte et la réalité des corps. Se plonger dans les choses pour mieux les avoir rencontrées, puiser dans la nostalgie annoncée de leur disparition la force de mieux vivre leur présence.
Et de commencer par citer ici Bas Jan Ader qui, cherchant le «miraculeux», a disparu en mer. »